Pour son quatrième ciné-débat de l'année à la médiathèque, la section mâconnaise de la Ligue des droits de l'homme proposait « No Land's Song », film de l'Iranien Ayat Najafi. Sollicité, Yann Richard, professeur d'études iraniennes à Paris-III-Sorbonne nouvelle, est venu apporter son éclairage.
Résister en chantant
Dans l'Iran actuel, il est interdit aux femmes de chanter seules devant un public mixte. Leurs voix lascives feraient naître des désirs impurs et inciteraient les hommes, bien malgré eux, à sortir de leur « état normal »… Faisant fi de ces considérations saugrenues, Sara Najafi, sœur du réalisateur, musicienne, compositrice diplômée, décide en 2009 d'organiser un concert avec uniquement des voix féminines. Elle invite trois chanteuses (deux Françaises et une Tunisienne) à se produire sur la scène de Téhéran. Mais pour qu'un tel événement soit possible, il faut un permis officiel. Le documentaire d'Ayat Najafi relate le parcours de Sara dans les méandres kafkaïens de la bureaucratie iranienne pour obtenir les autorisations politico-religieuses indispensables. Un parcours du combattant semé d'obstacles qui durera quatre ans.
Entre convocations répétées au ministère de la Culture et de la Guidance islamique, entretiens serrés avec imams et autres représentants du dogme, la jeune femme ne désarme pas. Et finira par gagner, soutenue par ses amis iraniens et français. Le concert s'est déroulé en septembre 2011 devant 300 personnes, debout à la fin du spectacle pour ovationner cette première sur la scène musicale iranienne depuis 1979.
Iran, pays de paradoxes
« Belle expérience qui prouve qu'il est possible de faire entendre la voix d'une femme », apprécie Yann Richard. Spécialiste de la sociologie religieuse du chiisme moderne, de la littérature persane et de l'histoire de l'Iran, il a été témoin de la révolution de 1979.
Selon lui, les réformes imposées par les différents régimes politiques du XXe siècle ont connu des fortunes diverses et paradoxales. En 1936, l'interdiction du port du voile pour les femmes, qui devait accélérer leur émancipation, a produit des effets contraires à ceux souhaités. « Dans les milieux populaires et traditionnalistes, on n'envoyait plus les filles à l'école, car elles étaient dévoilées et côtoyaient des garçons », commente l'universitaire. Résultat : une éducation restreinte pour les femmes, qui restent confinées au foyer. « A la révolution de 1979, c'est l'inverse », poursuit Yann Richard. « Les femmes doivent être voilées, les écoles ne sont plus mixtes. Résultat : toutes les filles retournent à l'école, au lycée, à l'université. Aujourd'hui, il y a plus de filles à l'université que de garçons. Ayant accès aux études supérieures, elles deviennent docteurs, ingénieurs, médecins. Elles ont une vie professionnelle, deviennent indépendantes financièrement, sont valorisées… » Autre conséquence inattendue : une nette baisse du taux de natalité.
« Une logique machiste qui semblait inhérente à l'islam est complètement brisée par le fait que la société a été redistribuée de manière plus égale entre hommes et femmes », analyse le sociologue.
Oscillant entre modernisme et tradition, l'Iran d'aujourd'hui redevient non seulement une puissance économique courtisée par les multinationales occidentales mais également une puissance militaire étroitement surveillée par ses voisins du Moyen-Orient. Par sa politique extérieure, le pays tend à trouver sa place dans le grand concert des nations. Mais, tempère Yann Richard, « il ne faut pas toucher à la politique intérieure : il y a toujours autant de journaux interdits, d'intellectuels en prison… » Lui-même, qui a vécu plus de huit ans en Iran, semble actuellement être considéré persona non grata. Invité à maintes reprises par ses pairs iraniens à participer à des colloques, il n'obtient pas de visa. Les raisons de cet ostracisme ne seront pas communiquées.
R. A.