L’assemblée plénière du Conseil Local de Santé Mentale Mâconnais Sud Bourgogne s'est tenue ce vendredi à Mâcon. À cette occasion, une table ronde sur le thème "La santé mentale dans les territoires" a permis aux professionnels.les de s'exprimer et de réagir autour de deux témignages de maires.
Plusieurs invités étaient présents : Henri Boniau, maire de Cluny, Geneviève Fribourg, déléguée départementale de l’Agence régionale de santé (ARS), Catherine Gabrelle, maire de Royer, et Ariane Seigneur du Centre hospitalier de Mâcon. Ils ont dialogué avec le public et avec Roland Salvi, directeur de la maison d’accueil spécialisée de Bergesserin, modérateur de cette table ronde.
La discussion était axée sur les mesures que les maires peuvent et doivent prendre quand ils sont amenés à faire face à des individus en souffrance psychique, ou sociale, handicapés, qui posent un danger pour les autres ou pour eux-mêmes.
L’arrêté du maire pour hospitalisation provisoire sous contrainte est une des mesures possibles, mais elle est plus difficile pour certains élus de petites villes ou communes rurales, car ils ne maîtrisent pas suffisamment ses aspects juridiques. L’accompagnement par les professionnels de santé au niveau de l’ARS et des hôpitaux devient ainsi très important, surtout pour les maires sans expérience.
Les témoignages des deux maires présents ont montré que cet outil juridique, qui doit être utilisé en coordination avec des médecins, gendarmes, policiers, pompiers, est parfois compliqué à mettre en pratique. Et ce, parce que les juges des libertés imposent le respect très rigoureux de la législation pour les soins médicaux sans consentement (l’avis préalable d’un médecin, la rédaction parfaite de l’arrêté, etc.).
Le maire de Cluny aimerait qu’un réseau de professionnels, d'associations, d'élus et de forces de l’ordre (comme celui existant pour les violences intrafamiliales) puisse être mis en place pour aider à repérer les individus atteints par des troubles psychiques, potentiellement dangereux, et ainsi prévenir les cas d’urgence compliqués à gérer.
De son côté, Ariane Seigneur, du centre hospitalier de Mâcon, où arrivent le plus souvent ces individus pour être évalués, a confirmé la complexité des cas d’hospitalisation sous contrainte pour les maires. Elle a aussi précisé que son établissement était prêt à accompagner les élus en ce qui concerne les procédures administratives pour éviter les entraves juridiques : « Un patient souffrant de troubles psychiatriques est avant tout un citoyen de droit et on doit impérativement s’assurer que son hospitalisation se fait dans des bonnes conditions d’information, d’accompagnement, de réévaluation. Certes, l’hospitalisation n’est pas de la détention, mais il faut faire attention, même dans ce cas, aux libertés des individus. Si, dès le départ, l’arrêté du maire n’est pas bon, toute la procédure sera remise en cause, et, plus largement, toute la pertinence de l’hospitalisation. Dans 90 % pour cas, quand un maire sollicite une hospitalisation, celle-ci est avérée. Mais, pour une virgule, un code qui n’aura été cité correctement, tout travail médical peut être mis en péril. »
Ariane Seigneur a confirmé les difficultés posées par certaines personnes : « Dans les cas des personnes atteintes d’Alzheimer et à comportement agressif, elles ne sont pas considérées comme des malades psychiques et, par conséquence, un psychiatre dira qu’il ne faut pas les hospitaliser. Ces dernières années, la maladie d’Alzheimer a beaucoup changé. On n’est plus seulement dans la perte spatio-temporelle mais dans des situations d’extrême violence qui émanent de cette maladie. Pour ces cas-là, il faudrait développer un réseau spécifique. »
Pour aider les maires, la déléguée de l’Agence régionale de santé a promis à de leur envoyer, en janvier prochain, un guide administratif pour la maîtrise des situations de crise qui impliquent les personnes en souffrance psychique, sociale (isolement, précarité), handicapées et notamment les soins provisoires sans consentement.
En Saône-et-Loire, 71 cas d’hospitalisation sous contrainte à la demande des maires ont été enregistrés en 2017 par l’ARS, 72 en 2018 et une cinquantaine pour cette année.
Si les maires de petites villes comme Cluny peuvent s’appuyer sur un pôle social dans des situations pareilles, les élus des petites communes rurales doivent gérer seuls des situations parfois dangereuses. C’est le cas de Catherine Gabrelle, maire de Royer (130 habitants qu’elle connaît personnellement) qui a raconté des cas qu’elle a dû gérer seule : tentatives de suicide, violences domestiques, agressions armées, jeunes en détresse, personnes âgées isolées…
« Je suis maire depuis quinze ans et chaque fois qu’il y avait une situation difficile à gérer je me suis rendue compte que je n’avais aucune réponse. Un guide est bon pour le côté administratif, mais il nous faut également une formation pour savoir comment réagir face à des urgences qui impliquent des personnes avec des troubles psychiques ou d'Alzheimer, par exemple. »
Catherine Gabrelle avoue être obligée de faire au quotidien le travail d’une assistante sociale pour des personnes qui n’ont plus personne et qui, parfois, ne se laissent pas aider, en s’isolant. Autre sujet de préoccupation du maire de Royer, qu’elle considère aussi comme un problème de santé mentale et sociale, celui des jeunes : « Il y a une grave souffrance chez eux, comme nous le confirment ceux qui les accompagnent vers l’emploi dans le cadre de dispositifs comme PLIE et Aile Sud Bourgogne. Ils s’enferment très facilement dans un monde numérique, l’enseignement ne répond pas comme il faut à leurs besoins, ils ont des problèmes d’addiction à l’alcool, aux drogues. Auparavant, il y avait une structure à Tournus à qui les parents pouvaient faire appel. Aujourd'hui, elle n'existe plus. Ces structures de proximité pour les jeunes ou les seniors manquent dans les zones rurales. »
Roland Salvi, animateur de la table ronde et membre du conseil local de santé mentale, a tiré quelques conclusions à la fin des échanges : « Il y a une préoccupation de communication au service du citoyen, de la dignité et du respect du patient, tout en essayant de répondre à la sécurité des citoyens quand celle-ci est menacée par des comportements agressifs, violents et perturbants. »
Pur lui, « les maires, les policiers, les gendarmes, les médecins sont pris entre le marteau et l’enclume, entre le respect de la vie privée et le souhait d’intervenir pour aider une personne en détresse. »
« Si les conseils locaux de santé mentale pouvaient se structurer pour être des lieux de dialogue, d'interconnaissances, d’échanges d’expériences dans le traitement des problèmes de santé mentale et sociale, cela permettrait de trouver des pistes pour faciliter le lien social » a déclaré Roland Salvi.
Une idée partagée par Henri Boniau, maire de Cluny et membre du conseil local de santé mentale Sud Bourgogne : « L’échange d’expérience est fondamental avec les institutions partenaires. Après ce débat, on a maintenant quelques pistes, quelques idées sur lesquelles travailler. »
« Les gens ont souvent des a priori sur les problèmes de santé mentale. Ils ne se rendent pas compte de leur complexité sociale et médicale, les accidents de la vie, les souffrances qui s’accumulent. La santé mentale est l’affaire de tous, il faut faire beaucoup de la pédagogie. Tout le monde peut en basculer un jour parce qu’il y a eu une goutte de trop », a ainsi conclu Catherine Gabrelle, maire de Royer.
Cristian Todea
Claire Pernet, chargée de mission au Pôle d’Equilibre Territorial et Rural Mâconnais Sud Bourgogne
La table ronde a été suivie par le biais de la facilitation graphique par Florence Rigneau