Moment fort et rituel riche de sens dans la vie d’une juridiction, l'audience solennelle de rentrée a concerné, ce jeudi matin, le tribunal de commerce et son activité dense au cours de l'année 2022. Le président Michel Perche n'a pas manqué de tacler les dernières décisions politiques qui mettent en difficulté les petites entreprises. Son discours intégral.

 

Discours du président du tribunal de commerce de Mâcon, Michel Perche :

 

« Madame la première Présidente, Monsieur le Procureur Général, 

Je vous présente à tous mes meilleurs vœux pour cette nouvelle année. 

Après deux années compliquées, nous sommes enfin réunis. Nous ne sommes pas faits pour vivre individuellement. Nous avons besoin de contact, de socialisation, d’échanges. C’est donc avec un grand plaisir que je débute cette journée consacrée à notre audience solennelle. 

Nous espérions en avoir fini avec la pandémie. Nous pensions que cette nouvelle année allait nous apporter de la stabilité et un retour à la normalité. Il n’en est rien. Le doute subsiste et dans la logorrhée d’informations à laquelle nous sommes soumis quotidiennement, il est difficile de se faire une idée. 

Une crise en chasse une autre. Celle qui se profile est très inquiétante pour notre économie : le manque de main d’œuvre, l’inflation du prix des matières premières et surtout la hausse du prix de l’énergie fragilise nos entreprises. 

Il faudra expliquer aux chefs d’entreprises que nous sommes, comment un produit comme l’électricité, produit en France par une seule société, de plus nationalisée, peut donner lieu aux tarifs qui sont proposés, je devrais plutôt dire imposés. Des augmentations qui vont de trois à dix fois les prix pratiqués en 2022 ! L’ouverture de ce marché à la concurrence était censée nous apporter une stabilisation des prix, c’est réussi ! 

Si nos gouvernants ont pris les mesures qui s’imposaient pour amortir l’impact de la crise du covid, ils ne semblent pas prendre la mesure de la catastrophe qui nous attend dans les prochains mois. 

Alors que les deux dernières années ont été plutôt satisfaisantes et que le nombre de défaillances d’entreprises a rarement été aussi bas, nous sommes en train de casser cette dynamique qui nous laissait entrevoir la sortie du tunnel, le conflit Ukrainien ne peut pas à lui seul expliquer cette crise. 

 


Rapport d’activité :

A partir des statistiques de 2022, nous constatons que le nombre de procédures collectives est en nette augmentation de 97 % (144 procédures contre 73). Le pic avait été atteint en 2013 avec 190 procédures. L'explication provient des deux années précédentes atypiques 2020 et 2021, années COVID et attentistes (86 et 73 procédures). 

En termes économiques, ces 144 procédures ont concerné 249 salariés contre 168 (+ 49 %), et le chiffre d’affaires cumulé de ces procédures est de 27 millions d’euros contre 15 millions d’euros en 2021 (+ 80 %). 

Au registre du commerce et des sociétés, nous avons 8727 formalités dont 852 immatriculations de sociétés commerciales (841 en 2021 : + 1 %) et 430 immatriculations de sociétés civiles. 

Ce sont également 5071 dépôts de comptes annuels de sociétés commerciales qui ont été déposés au greffe, dont 3089 soit plus de la moitié avec déclaration de confidentialité. 

Au registre des privilèges, nous avons une stabilité cette année 2022 des inscriptions de contrats de crédit-bail et de location financière avec 1528 inscriptions contre 1515 ; ce qui correspond à une stabilité de l'investissement dans les entreprises.  

Au service du contentieux général, 318 ordonnances d’injonction de payer ont été rendues. Les affaires inscrites au rôle sont de 89.  

En matière de prévention-détection, 15 dossiers ont été examinés en 2022.  


 

Solliciter le greffe du tribunal de commerce en cas de difficulté

« Le rôle du tribunal de commerce est avant tout de venir en aide aux entreprises. Des solutions existent comme la conciliation, le mandat Ad hoc ou la sauvegarde mais trop peu de chef d’entreprise actionnent ces leviers à temps. Ils ne doivent pas attendre que la situation devienne catastrophique pour nous interpeller. 

Si je devais répertorier les qualités principales d’un chef d’entreprise, en plus du courage, je dirais ne pas avoir peur de l’inconnu, savoir se remettre en question, communiquer et être à l’écoute. Toutes ces raisons doivent faciliter les relations entre notre institution et les dirigeants de nos entreprises. 

Nous sommes à la disposition des entrepreneurs. Sur un simple coup de fil au greffe, ils obtiennent rapidement un rendez-vous et en toute discrétion, nous faisons un premier point avant de choisir la solution la plus adaptée à leur situation. 

Tous les juges du tribunal sont ou ont été des entrepreneurs. Il n’y a pas d’autre endroit que le tribunal de commerce où les dirigeants trouveront une écoute et une compréhension de cette qualité. La pire situation pour un chef d’entreprise est de se retrouver seul face aux difficultés. 

Mais nous ne sommes pas des magiciens. Face à ce dérèglement du marché, nos moyens semblent dérisoires. Il est urgent de trouver des solutions pour retrouver une situation plus calme et des perspectives à plus long terme. 

Un tribunal de commerce c’est aussi une organisation qui permet d’être réactif et d’accompagner une entreprise dès sa naissance, de l’aider à se développer et hélas parfois de l’aider à mourir dignement sans laisser trop de dettes à ses créanciers. 

Pour cela nous avons la chance d’avoir au greffe une équipe très à l’écoute, réactive et professionnelle. Il semble que nos dirigeants ne l’ai pas compris. Depuis des années, ils prennent des mesures qui vont à l’encontre de cette dynamique. En créant le guichet unique, la loi pacte souhaite améliorer l’accès à l’entreprenariat, mais en chargeant l’INPI de cette tâche, elle éloigne les créateurs d’entreprises de notre institution et de tout le conseil qu’ils sont en droit de recevoir. 

Nous souhaitons ardemment que cette nouvelle procédure puisse être efficace le plus rapidement possible, même si l’on constate d’inévitables difficultés au démarrage de ce nouveau processus. 

Nous formons sincèrement le vœu que les chefs d’entreprises puissent continuer de bénéficier d’un service de qualité, tel qu’il existait auparavant via la plateforme de formalités gérée par Infogreffe. 

Vers des TAE

Suite aux états généraux de la justice, il a été décidé d’expérimenter le remplacement des tribunaux de commerce par des TAE (tribunaux des activités économiques) avec un élargissement des compétences concernant les procédures amiables et collectives quel que soit le domaine d’activité des opérateurs économiques, commerçants et artisans, mais aussi certaines professions libérales, les SCI et les associations. 

Pour se préparer à relever ce défi, les juges participent régulièrement à de nombreuses formations.   

De la cité judiciaire

Je voudrais vous dire un mot sur notre arlésienne. Oui au tribunal de Macon nous avons une Arlésienne ; on en parle depuis des années et nous ne l’avons pas encore vu ; je suis tombé par hasard sur un compte rendu de réunion auquel avait assisté le Président Chopin, qui a officié plus de deux décennies à la tête de notre tribunal ; et quelle ne fut pas ma surprise en voyant que cette réunion sur la construction de la nouvelle cité judiciaire s’est tenue il y a près de vingt ans. Je ne ferai pas de commentaires désobligeants sur la lenteur de la justice, car il semble que ce projet devrait arriver à son terme assez rapidement. Je laisse le Président du tribunal judiciaire vous en parler plus longuement tout à l’heure. 

 

Avant de conclure, je voudrais remercier toutes les personnes qui tout au long de l’année s’impliquent dans le bon fonctionnement de notre institution : les mandataires judiciaires qui savent se rendre disponibles pour seconder les juges commissaires, les mandataires conciliateurs éléments primordiaux lors des redressements ou des cessions d’entreprises, les huissiers ou commissaire priseurs pour la justesse de leurs prisées, les experts judiciaires pour leurs connaissances techniques, les avocats avec qui les échanges sont parfois un peu tendus mais toujours courtois et constructifs et bien-sûr le personnel du greffe sans qui nous ne pourrions pas fonctionner. 

Pour conclure, nous sommes loin de ce que nous prévoyait la plupart des économistes au début de la crise sanitaire. La situation a bien été maîtrisée, mais elle reste tendue. Il faut rester vigilant, être à l’écoute et prêt à réagir ! »

Michel Perche, président du Tribunal de Commerce de Mâcon 

 

 

La parole a ensuite été donnée à Bruno Rivier, bâtonnier du barreau de Mâcon depuis un an. Il a tout d’abord tenu à présenter ses vœux au nom des avocats du barreau de Mâcon, et à toute l’assemblée présente aujourd’hui.

Après avoir corroboré les propos du président du tribunal de commerce, il a ajouté « même si parfois nos échanges sont tendus, nous communiquerons toujours de manière courtoise dans le but d’aboutir à un discours constructif. Nous sommes encore et toujours à subir les conséquences de cette crise sanitaire liée au covid 19 qui a totalement rebattue les cartes et les données micro et macro-économiques, et causé d’immenses difficultés à tous les chefs d’entreprise.

Pire encore, une guerre en Ukraine ébranle toutes nos certitudes profondes d’homme, de citoyens, de chef d’entreprise, guerre qui provoque et sert de justification à des hausses quasi insurmontables, notamment de l’énergie mais également des biens de première nécessité. Restons sur le plan de l’audience du tribunal de commerce, ou bientôt de notre futur TAE (Tribunal des Activités Economiques).

Je tiens également à remercier tous les magistrats du tribunal, Monsieur le greffier ainsi que toute son équipe, et tous ceux qui permettent à ce tribunal de fonctionner de très bonne manière et à confirmer que les actions communes mises en place fonctionnent » avant de poursuivre « cependant, Monsieur le président, je m’autoriserai une incise puisque vous m’avez tendu la perche (rires dans la salle), force est de constater que nous sommes projetés devant l’un des pires maux français de l’art de la complexification par la simplification des procédures. Comment croire que, ce que notamment les greffes des tribunaux de commerce, les chambres des métiers et de l’artisanat avaient construit en plusieurs décennies et qui fonctionnaient bien, a été balayé en une fraction de seconde le 31 décembre 2022 au profit de ce “guichet unique” dénoncé depuis plus de 18 mois par les avocats, les notaires et toutes les professions en charge des formalités des entreprises. J'adresse en conséquence un vœu particulier pour que ce blocage actuel se solutionne au plus vite : moi et mes confrères appelons au retour d'Infogreffe. »

A.L.