3ème volet de notre reportage photos. À lire aussi, le déroulé de cette journée mémorable que fut le 4 septembre 1944 à Mâcon
La Colonne de la Libération s'est arrêté au square de la Paix où le récit de la journée du 4 septembre 1944 a été lu par Philippe Schneberger, chef de la colonne de la Libération sur Mâcon :
« Nous sommes en 1944 ; Mâcon compte 23 000 habitants.
Sur les rares photos de cet été-là, la ville paraît vide :
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plus d’automobile, à part celles de l’armée allemande,
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quelques vélos,
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beaucoup de piétons,
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les silhouettes des miliciens sur le pont Saint-Laurent,
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et les drapeaux à croix gammée au fronton des hôtels et des bâtiments du centre-ville.
Mâcon est occupée depuis le 19 juin 1940 :
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La Kommandantur est installée à l’hôtel des Champs-Elysées, aujourd’hui hôtel de Bourgogne.
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La Feld-gendarmerie est installée à l’école place Carnot, aujourd’hui le Centre Communal d’Action Sociale,
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La Gestapo et la police française occupent l’hôtel de Genève en face de la gare, aujourd’hui Brit Hôtel.
Les effectifs allemands varient de 300 à 3 000 par jour.
Depuis l’hiver 41-42, les restrictions sont pénibles, les distractions sont rares.
On maintient de son mieux un reste de vie sociale avec des bénévoles courageux : concert de l’Harmonie municipale, athlétisme à Champlevert, courses des Régates mâconnaises…
Mâcon a la chance d’être au cœur d’un important réseau de résistants, parce que la ville est proche de Lyon et de Cluny.
Le réseau local bénéficie du soutien et du travail de fourmis, quotidien et discret, des Mâconnaises et Mâconnais : les agents des P.T.T., des mairies, de la préfecture, des Ponts-et-chaussées, les cheminots…
Mais revenons à l’année qui nous intéresse :
En cet été 44, la crainte est diffuse et l’insécurité est générale ; entre lassitude et exaspération, la population mâconnaise est déprimée :
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Elle doit aller de plus en plus souvent aux abris durant les alertes aériennes,
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Elle est énervée par les soucis quotidiens du ravitaillement,
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Elle est abattue par la chaleur.
Durant tout l’été, la Gestapo guidée par la Milice – installée au 9 quai Lamartine - arrête juifs et résistants, qui sont déportés ou envoyés à la prison de Montluc à Lyon.
Le 13 août, après l’échec de l’attaque de Cluny, les Allemands et la Gestapo décident d’un vaste coup de filet à Mâcon, sur tous les hommes à partir de 17 ans.
2 500 hommes sont contrôlés et une trentaine est arrêtée : la moitié sera assassinée le 18 août.
Mais sur le territoire national, la situation évolue favorablement : les forces françaises et américaines débarquées le 15 août en Provence, progressent chaque jour de 30 kilomètres.
À Mâcon, la Kommandantur et tous les services allemands font leurs bagages, détruisent leurs archives.
Depuis le 25 août, Mâcon est encerclée par 2 000 maquisards arrivés par les collines de l’ouest.
Pas question d’attaquer Mâcon en force ; l’objectif est de s’en approcher pour l’occuper le moment venu.
Simultanément, les Allemands poursuivent leurs destructions stratégiques :
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le 28 août, ils bombardent le pont de Genève, le pont SNCF qui traverse la Saône,
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le 3 septembre, c’est le pont de Saint-Laurent et la gare.
Le 29 août, après une première tentative bloquée par les Allemands, un nouveau groupe de résistants revient à Flacé, cette fois avec succès.
En même temps, l’armée du Général de Lattre de Tassigny, débarquée en Provence, avance plus vite que prévu.
Dans la nuit du 3 au 4 septembre, les maquisards, qui ont déjà dégagé la RN6 jusqu’à Tournus, prennent contact avec le général du Vigier, adjoint de de Lattre.
Ils entreront dans Mâcon le 4 septembre au petit matin.
Lundi 4 septembre
La journée est ensoleillée.
Dès 6 heures, 1 500 maquisards du régiment de Cluny descendent vers la ville en suivant trois axes :
1 Hurigny - Flacé,
2. La Patte d’Oie - Charnay
3 Vinzelles - Loché-Saint Clément.
À 7 heures, 60 Mâconnais âgés de 20 ans, fous de joie, descendent de la Coupée vers Saint-Clément où ils s’installent en défense des ponts de chemin de fer.
Dès l’entrée dans les faubourgs, l’accueil est délirant : la population est massée le long des rues, les maisons sont pavoisées. Les Mâconnais se sentent vraiment libérés et délivrés.
À 10 heures, à la préfecture vide de ses employés, le préfet vichyste Thoumas cède son cabinet et ses pouvoirs à un petit groupe de résistants conduits par Lucien Drevon, qui devient le nouveau préfet. Il a été désigné par le Comité départemental de la Libération.
Ce Comité est issu du Comité Français de la Libération Nationale, créé dès 1943 par de Gaulle qui a anticipé la reprise des pouvoirs civils en France.
Dans la foulée, le nouveau préfet Drevon désigne le nouveau maire Pierre Denave, avec Louis Escande comme Adjoint, et un tout nouveau conseil municipal.
Soudain, alerte !
Des blindés allemands arrivent de Crêches par la RN 6 !
D’un seul coup :
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les spectateurs et les drapeaux disparaissent,
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simultanément, on construit une barricade sous le pont ferroviaire de Saint-Clément.
En fait, ce sont les chars français de l’armée de De Lattre !
À 16 heures 30, ils entrent dans Saint-Clément, fendent des marées vivantes et traversent Mâcon.
À 18 heures, l’allégresse est à son comble avec le défilé, armes à l’épaule, des compagnies de maquisards :
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les femmes, en robe d’été, lancent des bouquets,
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les enfants, déchaînés, courent le long du défilé,
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les nouveaux responsables du département et de la ville saluent au balcon de la mairie,
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la foule applaudit et acclame.
Tard dans la nuit, des bals populaires s’organisent spontanément, les cafés restent ouverts.
Oui, le 4 septembre 1944, dans la douceur d’un long soir d’été finissant, la foule était en liesse, la ville entière était reconnaissante : Mâcon était libéré. »
À l'issue du récit, la Colonne est repartie en direction de l'Hôtel de Ville pour la remise des clés où Jean-Patrick Courtois maire de Mâcon a endossé le rôle de Pierre Denave, le maire de l'époque.
« 80 années se sont écoulées et bien peu aujourd’hui sont en capacité de témoigner de cette journée de libération pour Mâcon...
Si nous nous sommes accoutumés à entendre les mots de liberté ou de République avec un mélange d’évidence et de lassitude, ceux de 44 les ont célébrés avec d’autant plus de férocité qu’ils en ont été cruellement privés quatre années durant...
Lorsque Pierre Denave prend ses fonctions de maire de Mâcon en ce lundi 4 septembre 1944, c’est l’histoire de la ville qui bascule. C’est Mâcon qui rejoint cette France libérée, bien que notre pays soit toujours sous le feu des armes. Ce sont également les valeurs de notre démocratie et de notre indépendance qui reprennent vie sur notre territoire, après avoir été cantonnées si loin, et jusque sur des terres étrangères...
L’arrivée de Pierre Denave et la réunion du conseil municipal qui suit le 13 septembre, c’est aussi l’affirmation d’une France qui triomphe à nouveau, malgré le traumatisme de 1940. C’est la démonstration que les Français sont prêts à assumer à nouveau leur destin et qu’ils restent un grand peuple...
Lorsque Pierre Denave pénètre dans le bureau de maire, il participe à l’ambition du général de Gaulle de faire vivre immédiatement notre administration au service des Français...
Le tout nouveau maire se présente au balcon pour célébrer la fin de l’oppression. Aux côtés du préfet Lucien Drevon, qui vient lui aussi d’être tout juste nommé, il s’avance pour attester du retour de la France dans la ville de Mâcon.
Il se trouve devant le drapeau tricolore frappé de la croix de Lorraine, que nous déployons à nouveau aujourd’hui. C’est le symbole du triomphe de la France résistante, et plus encore de la France toute entière...
En ce jour de libération, toutes les personnes qui se retrouvent devant notre hôtel de ville, comme nous aujourd’hui, partagent néanmoins la joie de voir partir les soldats allemands et de voir finir une oppression de quatre années. C’est pour chacune et chacun la promesse de jours rendus plus heureux par le retour de la liberté, et de valeurs obscurcies depuis 1940.
C’était cela, la promesse du 4 septembre 1944, et la raison qui a conduit tant de Mâconnaises et de Mâconnais à célébrer la libération dans nos rues. »
Souvenirs
Reportage Maryse Amélineau
Photos © Maryse Amélineau